Entretien avec le professeur Claire Poyart, présidente de la Collégiale de Bactériologie-Virologie-Hygiène

C. Poyart

Le 11 mai 2015, l’équipe du CEDIT a rencontré le professeur Claire POYART, présidente de la Collégiale de Bactériologie-Virologie-Hygiène, qui a présenté un état des lieux en matière d’innovation dans ces disciplines. Le Pr. Poyart a également sollicité les avis du Pr Françoise BOTTEREL, Présidente de la Collégiale de Parasitologie-Mycologie et du Pr. Jean Michel PAWLOTSKY, virologue.

BACTERIOLOGIE

Nous sommes face à un enjeu majeur, le développement et la généralisation d’antibiorésistances à spectre parfois très large, en particulier chez les entérobactéries productrices de carbapénèmases. Les gènes responsables de ces résistances sont souvent situés sur des éléments génétiques mobiles et peuvent diffuser au sein d’une espèce bactérienne donnée mais aussi entre des espèces distinctes. Les résistances acquises ne concernent donc plus exclusivement les souches nosocomiales : certaines souches communautaires sont en train d’en acquérir.

Avancées diagnostiques

Ce domaine concentre un nombre important d’innovations, dont certaines constituent même des ruptures technologiques par rapport à l’existant.

Nous allons assister au développement et à la généralisation de l’automatisation des techniques de culture classiques mais également des techniques d’identification phénotypique des souches bactériennes.

Les tests de diagnostic rapide des infections représentent une avancée importante, qui pourrait être étendue au dépistage des bactéries multi-résistantes. La spectroscopie de masse, qui permet d’obtenir rapidement un profil de masses protéiques caractéristique de l’espèce bactérienne présente, a également permis des progrès importants dans les diagnostics rapides.

Enfin, nous sommes face à un virage conceptuel : l’approche d’identification bactérienne « dirigée » par des arguments cliniques se verra complétée par une approche « syndromique ». Les prélèvements seront alors soumis à des analyses de type Polymerase Chain Reaction (PCR) en fonction de la nature des prélèvements (sang, urine, liquide céphalo-rachidien, …). Ces PCR « généralistes » pourraient d’ailleurs être réalisées directement dans les services de soins, et non plus au laboratoire. La question de la responsabilité et de l’assurance qualité des résultats rendus nous sera alors collectivement posée sans que nous disposions d’une réponse consensuelle pour l’instant [1] .

Les approches génomiques, transcriptomiques et protéomiques, voient également leurs indications s’étendre très rapidement. Le facteur limitant actuel est l’exploitation de ces banques de données gigantesques, qui supposent des ressources informatiques et humaines importantes et spécifiquement formées. Cette exploitation nécessite la création de nouveaux métiers, à la frontière de la biologie, des statistiques et de la bio-informatique. Toutefois, la perspective d’un diagnostic « universel » en présence d’une flore polymicrobienne reste lointaine. En effet, deux questions majeures restent sans réponse : la notion de causalité réelle de ce que nous pouvons observer, et la notion d’interaction génome/environnement.

Le développement de biomarqueurs spécifiques, en complément de marqueurs traditionnels (ex : protéine C réactive et procalcitonine), constitue un enjeu important, notamment dans les infections sévères pour personnaliser les prises en charge, mais aussi dans un but pronostique.
Enfin, la méta-génomique devrait permettre la recherche de causes bactériennes à des pathologies jusqu’à présent mal comprises, comme l’autisme, le diabète, certains cancers ou la maladie d’Alzheimer, ouvrant ainsi la voie à des avancées en physiopathologie.

Avancées thérapeutiques

Il n’est pas réaliste d’attendre à court terme une révolution dans les traitements antibiotiques disponibles. De nouvelles molécules seront certes commercialisées, mais au compte-goutte, et sans bouleversement attendu. Il y a plus à attendre d’un meilleur usage des antibiotiques et d’un respect strict de leurs règles de prescription. L’objectif de santé publique est d’épargner l’efficacité des antibiotiques existants et de limiter le développement d’antibiorésistances acquises.

Les bactériophages pourraient également se développer. Il s’agit de « virus des bactéries », dont l’intérêt principal est la spécificité pour une espèce bactérienne donnée, en réduisant ainsi lors de l’administration, au moins conceptuellement, l’influence sur l’hôte et son microbiote. Leur utilisation est pour l’instant locale, y compris par inhalation, ils pourraient être notamment utilisés au cours des bronchopathies chroniques et chez les patients atteints de mucoviscidose.

Des anticorps monoclonaux sont en cours de développement à des fins d’immunothérapie ciblée. Ils pourraient être utiles notamment dans les pneumopathies acquises sous ventilation mécanique à staphylocoque, ou dans les colites sévères à Clostridium difficile.

Avancées en prévention

Les vaccins restent un enjeu majeur de santé publique. Il s’agit à la fois de la meilleure mesure de prévention et d’une alternative toujours contestée par des groupes de pression déclarés « anti-vaccins ».
De nouvelles souches vaccinales sont en cours de développement, notamment actives contre Plasmodium, Clostridium, ou encore les infections à méningocoque (souche multivalente voire universelle).

VIROLOGIE (avis du Pr JM Pawlotsky, Chef de pôle Biologie, Henri-Mondor)

Diagnostic en virologie

Le diagnostic en virologie se resserre aujourd’hui autour de la sérologie virale et des techniques de biologie moléculaire. En matière de sérologies virales, l’innovation se concentre sur l’automatisation des procédures et l’implémentation du « random access » qui permet de tester des échantillons uniques urgents sans interrompre de grandes séries de routine. Le deuxième grand défi en sérologie est le développement et l’implémentation de tests rapides, permettant la détection individuelle d’un marqueur virologique dans le cadre du dépistage de grande ampleur ou du diagnostic (« point-of-care tests » ou POCT).

L’automatisation des tests de quantification des charges virales se poursuit, avec un objectif de développement de nouveaux marqueurs moléculaires d’infections virales aujourd’hui non diagnostiquées en pratique clinique et qui peuvent représenter un défi de santé publique futur (dengue, West Nile, chikungunya, coronavirus, virus de l’hépatite D, etc.).

La disponibilité de techniques de séquençage classique, mais surtout de séquençage de nouvelle génération (« next-generation sequencing », NGS), ouvre la voie à l’identification précise des virus, de leurs génotypes, sous-types et variants. Les techniques de NGS pourraient prendre une place de choix dans l’étude de la résistance aux antiviraux, dans le cadre du VIH et du VHB mais aussi du VHC qui bénéficie de l’arrivée sur le marché de nouveaux antiviraux spécifiques très efficaces, cependant associés à un certain taux d’échecs liés à la sélection de virus résistants. Ces techniques nécessiteront de développer des approches de bio-analyse sophistiquées, spécifiques des applications en virologie et standardisées, accessibles aux laboratoires de routine.

Découverte de nouveaux agents pathogènes ou identification du rôle d’agents connus dans des pathologies d’étiologie indéterminée

Les approches de méta-génomique virale, qui s’intègrent de façon plus large dans des approches de méta-génomique microbienne incluant la bactériologie, la mycologie et la parasitologie, sont en plein essor. Elles permettront d’identifier les agents pathogènes à l’origine de pathologies inexpliquées et/ou intriquées. Elles peuvent également être appliquées à la découverte de nouveaux agents pathogènes ou de nouvelles souches pathogènes d’agents connus. Ces approches posent néanmoins le défi de l’analyse et de la conservation de données en quantités importantes, de leur tri et de leur interprétation. Le développement de pipelines spécifiques d’analyse en méta-génomique microbienne est un défi majeur et la simplification des approches pour une utilisation en pratique courante est indispensable.

Accès aux traitements antiviraux

L’arrivée sur le marché de nouveaux antiviraux, en particulier dans le domaine de l’hépatite C, pose le problème clé de l’accès à ces nouveaux traitements. Outre leur prix exorbitant, les nouveaux médicaments de l’hépatite C se heurtent à l’obstacle du dépistage et de l’accessibilité aux méthodes de suivi virologique du traitement dans de nombreuses régions du monde. Le développement des approches de dépistage à large échelle fondées sur les tests rapides, comme l’approches POCT ou fondées sur l’ELISA, éventuellement sur supports buvard, sont des défis innovants majeurs pour permettre le plus large accès aux soins des malades atteints d’infections virales chroniques.

Développement d’approches antivirales innovantes

De nombreuses infections virales connues ou émergentes se développent aujourd’hui dans le cadre d’endémies ou d’épidémies favorisées par l’abolition des frontières et les changements climatiques. Certaines représentent un danger majeur pour l’humanité. Le défi est immense quant au développement rapide d’approches thérapeutiques innovantes. Un des objectifs est de développer de nouvelles approches antivirales spécifiques pour certaines infections d’importance majeure. Un défi encore plus grand est l’identification de mécanismes communs utilisés par les virus dans leurs cellules hôtes pouvant représenter des cibles thérapeutiques d’antiviraux « à large spectre » pour des infections virales ne justifiant pas le coût du développement industriel d’une thérapie antivirale ciblée.

PARASITOLOGIE – MYCOLOGIE (avis du Pr Françoise Botterel, Henri Mondor)

Avancées diagnostiques

L’incidence des infections opportunistes dues à des microorganismes appartenant à la « biosphère rare » dont les champignons et les parasites font partie, a fortement augmenté ces dernières décennies chez les patients immunodéprimés (transplantation de cellules souches hématopoïétiques, d’organes solides, traitements immunosuppresseurs, SIDA,…). L’augmentation de ces maladies a nécessité une meilleure prise en charge diagnostique passant de nombreuses améliorations diagnostiques.

L’identification moléculaire et la spectrométrie de masse, comme en Bactériologie, se sont développées en Mycologie et en Parasitologie depuis quelques années faisant découvrir un grand nombre de nouvelles espèces ou de complexes d’espèces. Ainsi, Aspergillus fumigatus est devenu une espèce sensu stricto au sein d’un complexe d’espèces sensu lato regroupant 35 espèces qui s’avèrent parfois résistantes aux antifongiques et de pronostic souvent défavorable.

Le diagnostic microscopique et chronophage en Parasitologie – Mycologie s’est aussi enrichi de plusieurs PCR diagnostiques permettant une meilleure sensibilité diagnostique et une quantification des parasites et des champignons.

Plusieurs biomarqueurs, récemment développés dans le domaine mycologique, permettent d’appréhender le diagnostic indirect des infections fongiques. D’autres biomarqueurs sont en cours de développement à plus ou moins long terme.

L’approche de notre discipline fait corps avec le reste de la microbiologie avec une approche différente, fondée sur le syndrome et non sur le microorganisme. De nouveaux outils sont déjà sur le marché, tels la plateforme IRIDICA (Abbott) qui permet le diagnostic de plus de 1°000 pathogènes (bactéries, champignons, virus et parasites) en 6 h directement dans l’échantillon clinique et sans l’étape de culture. Néanmoins, ce concept doit encore être amélioré par des banques de données fiables et conséquentes, et l’extraction d’ADN reste différente selon que l’on a affaire à un eucaryote (champignons, parasites) ou un procaryote (bactéries).

Grâce à l’avènement des techniques de séquençage à haut débit et au développement des analyses métagénomiques, nos connaissances concernant la composition du mycobiote humain, qui se réfère à la composante fongique du microbiome, sont en pleine évolution. Il apparaît même que certains profils de « mycobiome » apparaissent désormais impliqués comme « co-facteurs » potentiels dans la physiopathologie de plusieurs maladies, telles que l’hépatite B, la mucoviscidose et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Par ailleurs, plusieurs facteurs liés à l’hôte  facteurs génétiques, environnement, mode de vie, alimentation – ont un effet sur la composition et les variations du mycobiote. En interaction avec d’autres biomes, ainsi qu’avec l’hôte, le mycobiome joue probablement un rôle important dans la santé humaine.

Avancées dans la détection de la résistance des champignons aux antifongiques

Depuis les années 1990, une dizaine de molécules antifongiques, avec de nouvelles classes médicamenteuses, sont apparues sur le marché. Jusqu’à très récemment, hormis la résistance des C. albicans au fluconazole dans le cadre du SIDA, les résistances des champignons aux antifongiques étaient très rares. Actuellement, les résistances des levures comme C. albicans et/ou C. glabrata sont en nette augmentation aux échinocandines, ce qui oblige à tester systématiquement les concentrations minimales inhibitrices (CMI) de toutes les infections profondes avec recherche éventuelle des gènes de résistance. De même, la prévalence des Aspergillus fumigatus résistants aux azolés est en nette augmentation en France et en Europe du fait de l’utilisation de fongicides dans l’environnement. Se développent donc des PCR diagnostiques couplée à une recherche de résistance qui peut être faite, soit après culture, soit directement sur les prélèvements de patients.

Avancées thérapeutiques

Envisager des thérapeutiques qui modifieraient ou moduleraient le mycobiome afin d’améliorer la prise en charge de certaines maladies est une voie d’avenir à plus ou moins long terme. Par ailleurs, avec l’approfondissement des connaissances concernant les mécanismes impliqués dans la modulation de la réponse immunitaire aux champignons, de nouvelles thérapeutiques immunitaires pourraient être proposées afin de traiter des maladies associées à une altération du mycobiome. En plus de l’hétérogénéité du mycobiome, les thérapeutiques d’avenir devront prendre en compte également le polymorphisme génétique des populations humaines, qui entraine une variabilité du risque de maladie associée à un désordre du mycobiome.

Nous remercions le professeur POYART pour son aimable participation à l’entretien, ainsi que les professeur BOTTEREL et PAWLOTSKY pour leur apports dans le domaine de la parasitologie –mycologie et de la virologie.

[1]. Cette difficulté à déjà été rencontrée par le CEDIT, et notamment lors de l’examen des premiers dispositifs d’analyse biologique au lit du malade (dossier CEDIT 98-04). Les éléments de solution alors retenus ne sont toutefois pas nécessairement transposables au cas de la bactériologie ; une évaluation nécessiterait donc un examen spécifique.