L’équipe du CEDIT a rencontré le professeur Georges Audry, président de la Collégiale de chirurgie infantile et le docteur Brice Ilharreborde, maître de conférence des universités, spécialiste en chirurgie orthopédique infantile et référent «innovation» pour le CEDIT, qui ont présenté un état des lieux en matière d’innovation dans leur discipline (voire lettre de veille n°27).
Evolution de la spécialité
La chirurgie pédiatrique, qui n’est pas celle d’un organe ou d’un appareil, trouve sa justification dans le fait qu’elle s’adresse à un organisme en développement, allant du foetus à l’adolescent voire même au jeune adulte. Dénommée chirurgie infantile sur le plan universitaire, elle est effectuée à l’AP-HP dans des services hospitalo-universitaires de chirurgie viscérale pédiatrique (Necker, Bicêtre, Trousseau et Robert Debré) et d’orthopédie pédiatrique (Necker, Trousseau et Robert Debré).
La chirurgie infantile est une discipline qui se confronte autant aux enjeux liés à l’introduction des technologies nouvelles et innovantes qu’à des enjeux organisationnels (ex : partage et mutualisation de ces technologies, défi de la transition vers la prise en charge adulte).
Dans l’exemple du robot chirurgical, compte-tenu des études disponibles chez l’enfant, des questions sur les bénéfices attendus sont encore soulevées. Par ailleurs, il apparaît nécessaire de mutualiser ces dispositifs entre les services concernés (ORL, chirurgie viscérale, etc.) voire même entre plusieurs hôpitaux, afin de justifier d’un nombre d’actes suffisants par rapport aux recommandations organisationnelles et économiques associées à son usage.
Un autre enjeu organisationnel est la délimitation entre les disciplines de chirurgie adultes et pédiatriques. Il est important que des échanges réguliers aient lieu, afin que chacun soit informé des innovations apparues dans les deux disciplines, et d’assurer ainsi une transition optimale pour les adolescents opérés pendant l’enfance et qui nécessitent un suivi à l’âge adulte. Il existe à l’heure actuelle, en urologie par exemple, des consultations de transition de la pédiatrie vers l’adulte faisant également appel aux praticiens de médecine physique et de réadaptation. Par ailleurs, l’échographie anténatale, obligatoire, permet aujourd’hui une détection de plus en plus fréquente des anomalies anatomiques, avant qu’elles ne deviennent symptomatiques chez l’enfant, voire chez l’adulte. Cela se fait à l’AP-HP dans les centres de diagnostics prénataux des établissements avec maternités.
Des critères de formation devraient être établis avec les chirurgiens adultes et d’autres spécialistes (anesthésistes, radiologues ayant une expertise pédiatrique) pour opérer les enfants de certaines affections ou en dessous d’un certain âge. Comme conséquence, l’activité des services de chirurgie pédiatrique devrait en être augmentée, devant entraîner une expansion de leur capacité d’accueil et du nombre de ces praticiens en général, ces services étant déjà souvent en situation de sursaturation.
A noter que très souvent à l’étranger, les actes d’orthopédie pédiatrique sont réalisés dans les services adultes et qu’en fonction des pays, cette spécialité sera considérée comme une branche de l’orthopédie ou restera rattachée à la chirurgie infantile comme en France.
Les urgences pédiatriques sont très mobilisées et représentent une part importante de l’activité en chirurgie pédiatrique, expliquant en partie l’activité plus importante de la chirurgie pédiatrique dans les établissements publics que dans les établissements privés. Les tumeurs des enfants, les déformations rachidiennes, les malformations viscérales graves, sont quasi-exclusivement prises en charge en région parisienne dans les hôpitaux de l’AP-HP.
En termes d’organisation des soins en chirurgie orthopédique, par exemple, on considère qu’il n’y a pratiquement plus d’actes réalisés hors établissement hospitalier public, l’AP-HP se trouvant en situation de quasi-monopole en Ile-de-France, compte-tenu du nombre décroissant de chirurgiens pédiatres et de plateaux techniques pouvant prendre en charge les enfants.
En termes d’organisation du parcours de soins, les interventions réalisées en ambulatoire à l’AP-HP représentent une part de 17-33% pour la chirurgie viscérale pédiatrique et de 13-18% pour l’orthopédie pédiatrique, selon les services. La concurrence existe avec les services ambulatoires des établissements privés, pour la pathologie inguino-scrotale par exemple. La part de l’ambulatoire à l’AP-HP continue de progresser et cherche à atteindre un taux autour de 40%. Cette réflexion sur l’ambulatoire doit intégrer la position des anesthésistes, acteurs transversaux des différentes chirurgies concernées par ce sujet.
Quelques exemples d’avancées importantes
Chirurgie Viscérale :
La vidéochirurgie est devenue une technique indispensable, et ses capacités peuvent encore s’étendre. Si le robot représente un des progrès dans ce domaine, des innovations sont présentes également dans les procédés intermédiaires (ex : bras mécanique type Dexterité Surgical). D’autres innovations concernent les nouvelles caméras, les écrans vidéo 3D, les instruments courbés ou rotatoires pour permettre la réalisation de sutures dans des angles complexes, la miniaturisation des instruments (présentant des embouts courts et fins de 3mm de large), ou encore l’utilisation d’un seul trocart Single Port.
Les prothèses bénéficient de l’avancée des biomatériaux. Ces mises au point concernent essentiellement les prothèses d’expansion, développées en chirurgie plastique, mais connaissant de rares indications en chirurgie viscérale. Il n’y a pas eu de grandes avancées pour les sphincters artificiels ces dernières années.
La toxine botulique est aujourd’hui utilisée en chirurgie pédiatrique, pour traiter certaines vessies neurologiques hyperactives en urologie pédiatrique et pour traiter des problèmes de spasticité en orthopédie.
En urologie pédiatrique, les matériels injectables (macroplastique ou Déflux, matériau de synthèse) sont utilisés pour traiter le reflux vésico-urétéral ou l’insuffisance sphinctérienne, en alternative à des interventions ouvertes.
Les progrès en cours dans les greffes d’organe nécessiteraient un chapitre à part entière.
Par ailleurs, la chirurgie pédiatrique bénéficie des innovations concernant l’anesthésie et la réanimation, en particulier du nouveau-né.
Chirurgie orthopédique
La chirurgie orthopédique infantile a vu apparaître ces dernières années différentes innovations dans plusieurs domaines de son champ d’activités.
Ainsi, en imagerie, le système EOS [1] est un atout important pour diminuer la radiation à laquelle s’expose l’enfant, grâce à l’utilisation de basse dose (voire de microdoses grâce à une optimisation du système [2]). Il permet de réaliser l’exploration du squelette en position debout, mais de nombreuses applications pourraient se développer dans le futur pour d’autres indications (pneumologie, hépatologie). Les ajustements de l’image faits par le logiciel EOS selon le modèle anatomique défini par l’outil peuvent également être modifiés a posteriori ; celui-ci garde donc la main sur les résultats finaux de cet imageur. Si EOS permet de simplifier, voire de remplacer, la radiologie chez l’enfant (grâce, souvent, à une collaboration entre les services de pédiatrie et de radiologie), cet appareil demeure un modeleur de surface en 3 dimensions et ne peut encore être en aucun cas substitué à un scanner classique qui analyse le corps en interne et permet de repérer les nodules.
Si l’on compare le système EOS au scanner TDM basse dose, on comprend que les objectifs sont souvent différents, notamment par l’usage de l’EOS pour obtenir des données en position fonctionnelle de l’enfant, quand celui-ci doit observer une position allongée lors d’un examen TDM basse dose.
A ce jour, de nombreux travaux tentent de déterminer les éléments pronostics précoces d’une scoliose (génétique, neurosensoriel) et que l’EOS a sa place dans la caractérisation d’un score biomécanique d’évolutivité (voir les travaux publiés par le docteur Stefan Parent et son équipe du CHU de Sainte Justine, Montréal).
Par ailleurs, la reconstruction 3D personnalisée du squelette est un atout important pour les chirurgiens d’orthopédie infantile.
En général, les différents progrès de l’imagerie classique profitent également à la pédiatrie, en orthopédie mais aussi dans d’autres spécialités.
Dans l’exemple de la radiofréquence, il existe quelques indications en orthopédie pédiatrique (tumeurs inflammatoires), similaires à l’orthopédie adulte, mais elles demeurent encore peu évaluées.
En termes de matériau, l’élément magnétique est un atout important dans les différentes technologies qui se développent à l’heure actuelle. C’est ainsi le cas des tiges d’allongement magnétique du rachis (dispositif MAGEC) pour le traitement des scolioses à début précoce qui semblent représenter une alternative intéressante aux tiges de croissance conventionnelles [3].
Ce type de technologie pourrait par ailleurs également être utilisé pour les techniques d’allongement de membre (type clous d’allongement magnétiques, Helix).
On voit également se développer des systèmes robotisés permettant d’améliorer la mise en place des vis pédiculaires dans la chirurgie rachidienne, mais ces techniques manquent encore d’évaluation adéquate [4].
En termes de prothèse, les progrès dépendent de l’évolution de l’adulte, adapté ensuite pour des tailles plus petites et des courbures différentes, avec des contraintes mécaniques différentes. En termes de prothèse de hanche, les matériaux employés sont principalement la céramique ou le polyéthylène hautement réticulé.
L’amélioration des couples de frottements dur/dur ainsi que la diminution de la taille des implants permettent également de proposer des arthroplasties à des patients plus jeunes, même si les séries avec un recul suffisant restent rares [5].
Les substituts osseux (allogreffes, ostéoconducteurs…) restent encore peu évalués et la littérature est encore limitée.
Les prothèses chez les patients neurologiques (implants spéciaux adaptés à une population spécifique, souvent spastique, qui adopte par exemple la position assise plus fréquemment qu’une personne normale) sont à l’étude mais demeurent encore au stade très préliminaire.
La chirurgie de fistule ou la microchirurgie veino-artérielle est un domaine de mieux en mieux maîtrisé. Si cette intervention est indiquée à l’heure actuelle pour les insuffisants rénaux chroniques, de nombreux essais se mettent en place pour le recours à la fistule pour le patient drépanocytaire. L’Ile de France possède ainsi plusieurs centres de référence conséquents, représentant une des plus grosses cohortes d’Europe.
Car si l’on retrouve une cohérence de l’ensemble des praticiens orthopédiques qui partagent largement les connaissances et les innovations dans leur domaine, ils sont cependant confrontés au problème de la complexité d’organiser une randomisation pour un essai clinique chirurgical chez l’enfant (organiser un choix entre deux méthodes chirurgicales semble difficile à proposer). Les études comparatives sur les techniques chirurgicales sont ainsi très rares. Ces études semblent réalisables dans un contexte d’interservices ou bien dans une étude multicentrique de grande taille ou encore dans un service présentant un important débit de patients.
De la même manière qu’en orthopédie adulte, il existe une problématique liée à la chirurgie de la colonne vertébrale, la surveillance neurophysiologique. Le rôle d’un neurophysiologiste est de surveiller l’activité médullaire au cours de l’intervention de correction de déformation rachidienne en enregistrant les potentiels évoqués, mais cela suscite peu d’intérêt des praticiens neurologues. En l’absence de neurophysiologiste, il faut pratiquer un wake-up test (réveil de l’enfant pendant l’opération), contrôlé par l’anesthésiste, mais cela demande du temps, et la réalisation s’avère difficile et l’interprétation pas toujours exacte. La tâche de l’enregistrement des potentiels est attribuée dans certains pays à des techniciens de neurophysiologie. En France, il existe une carence d’effectif (moins de 30% de neurophysiologistes en bloc opératoire) et de formation des techniciens et des praticiens neurophysiologistes. Cette problématique d’organisation des soins est en cours d’évaluation (quelques études non randomisées) mais n’est pas encore considérée, notamment dans les cliniques, en raison de l’absence de codage de la surveillance neurophysiologique.
Les études de neuromonitoring sont principalement réalisées aux Etats-Unis (par la Scoliosis Research Society) où l’on semble recourir très couramment au neurophysiologiste durant l’intervention afin de diminuer les complications.
En orthopédie, la transition entre l’enfant et l’adulte reste un problème, notamment pour la tranche 15-25 ans, pour laquelle les services hospitaliers et les technologies sont rarement adaptés. Il existe ainsi un problème de robustesse des petits instruments (exemple, en thoracoscopie), qui sont peu nombreux et peu utilisés.
Nous remercions le professeur Audry et le docteur Ilharreborde pour leur aimable participation.
1. Système d’imagerie médicale permettant l’acquisition d’images radiographiques, en limitant la dose de rayons X absorbée par le patient en station debout.
2. Ces microdoses correspondent à environ 10 jours de rayonnement naturel
3. Une évaluation par le CEDIT dans le contexte de l’AP-HP a été réalisée, l’avis est publié sur le site internet du CEDIT
4. Robot-assisted and fluoroscopy-guided pedicle screw placement: a systematic review”. Marcus HJ, Cundy TP, Nandi D, Yang GZ, Darzi A. Eur Spine J. 2014 Feb;23(2):291-7. Epub 2013 Jun 26
5. Prothèses totales de hanche dans les coxopathies de l’enfant » Jouve J-L, Helix M, Launay F, Blondel B, Gaudart J, Bollini G. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot. 2008 Oct;94 Suppl(6):S146-8