Entretien avec le Professeur Guettier, Présidente de la Collégiale des Anatomo-Pathologistes, et le Professeur Bertheau, anatomo-pathologiste

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Professeur Catherine Guettier

 

Le 10 décembre 2012, l’équipe du CEDIT a rencontré le professeur Catherine Guettier, présidente de la Collégiale d’Anatomo-Pathologie et le professeur Philippe Bertheau, anatomo-pathologiste référent du CEDIT pour l’activité de veille technologique, qui ont présenté un état des lieux en matière d’innovation dans leur discipline.

Le Pr. Guettier et le Pr. Bertheau ont souligné l’évolution importante opérée récemment dans le domaine de l’analyse anatomo-pathologique, devenue de plus en plus complexe mais également plus précise, permettant un meilleur diagnostic et une meilleure orientation thérapeutique. La profession est ainsi plus décloisonnée par des coopérations avec les cliniciens et avec des spécialités comme la biologie moléculaire.

Les lames virtuelles sont une grande innovation émergente en anatomo-pathologie.

Née du besoin de partager des images et rendue possible grâce au développement de la technologie numérique ayant permis la numérisation des prélèvements tissulaires, l’arrivée des lames virtuelles semble entraîner une révolution dans cette spécialité, tant en routine qu’en recherche.

En effet, les lames virtuelles présentent de nombreux atouts pour l’analyse de lames en termes techniques et pratiques (précision, fiabilité, reproductibilité,…) comme en termes de facilité pour l’enseignement et pour « désenclaver » la spécialité d’anatomie pathologique et rendre l’information plus facilement disponible.

Il existe différentes utilisations pratiques des outils diagnostiques associés à ces lames. Citons notamment :

  • le compte automatisé des mitoses dans les cancers.
  • la quantification automatisée des  immunomarquages : les systèmes d’analyse d’image pour lames virtuelles permettent de compter à l’échelle d’une lame entière un signal d’immunomarquage (acte très fastidieux à l’œil nu pour le pathologiste), par exemple le marquage ki67, reflet de l’index de prolifération des  tissus cancéreux  ou l’expression des récepteurs hormonaux dans les cancers du sein.

Cependant, des limites à leur emploi existent et le recours aux lames de verres est encore nécessaire pour certaines analyses : les examens de cytologie restent ainsi encore difficiles à réaliser car le rendu à fort grandissement des lames virtuelles d’hématopathologie n’est pas toujours d’une qualité suffisante, au moins sur les écrans actuels. Il n’existe pour l’instant que de petites expériences de laboratoires entièrement numériques, comme par exemple en Suède.

L’arrivée des lames virtuelles modifie le fonctionnement classique du laboratoire d’anatomo-pathologie puisque de nouvelles tâches sont allouées aux techniciens avec par exemple une personne en charge du numériseur de lames et de la maintenance du matériel dédié.

La lame virtuelle bouleverse l’enseignement d‘anatomo-pathologie. Les apports sont nombreux, tant pédagogiques (les étudiants peuvent tous travailler sur une même image, qui peut facilement être accompagnée d’annotations) qu’économiques (coût des microscopes et de leur maintenance, aucun remplacement de lames pour casse). Les étudiants sont à présent plus familiers avec l’outil informatique qu’avec un microscope, et la numérisation des lames rend celles-ci accessibles depuis de nombreux lieux, permettant une optimisation du temps d’enseignement et de formation. Les enseignants doivent cependant consacrer du temps à la conception et à la mise en ligne des dossiers pédagogiques et l’unité de formation doit disposer d’un scanner de lames.

En termes de conservation des données, la numérisation des lames facilite leur archivage, leur récupération et leur partage. Ce stockage est cependant très demandeur en ressources de stockage, une lame virtuelle représentant en moyenne un fichier d’environ 1 Go. L’évolution rapide des capacités de stockage informatique et la diminution de leur coût permettent maintenant d’envisager un stockage à long terme. La contrainte de limitation de stockage (la production d’un laboratoire pouvant aller jusque 500Go de données par jour) peut être évitée en sélectionnant une région d’intérêt ce qui permet de réduire la taille du fichier stocké. Cet archivage numérique permet, entre autres de résoudre le problème rencontré auparavant en microscopie classique d’impossibilité de préserver à long terme des marquages immunofluorescents. L’archivage peut ainsi s’inclure dans le système de gestion d’images (SGI) en lien avec le système de gestion de laboratoire (SGL) d’un service d’anatomo-pathologie.

Le développement des lames virtuelles est également lié à l’expansion de la télépathologie, c’est-à-dire à la circulation des documents anatomopathologiques sous forme dématérialisée. Ceci permet l’échange et l’interprétation à distance de lames, comme par exemple pour obtenir un diagnostic sur un prélèvement per-opératoire lors d’un examen extemporané.

Auparavant, la télépathologie ne permettait que la transmission d’images plates trop ciblées de la zone d’étude (zone spécifique dans une lame) qui n’étaient donc pas exploitables par d’autres praticiens (absence de vue d’ensemble de la lame pour contextualiser la zone à analyser). L’amélioration de l’outil informatique permet à présent d’envoyer des fichiers contenant les lames entières et de réaliser une télé-expertise dans un délai raisonnable. Le matériel nécessaire en plus du système de numérisation des lames consiste en une plateforme de télépathologie qui devra être idéalement à terme interfacée avec les SGL locaux et d’une station de vidéomacroscopie et de visioconférence pour les examens extemporanés. Le partage des images peut se faire soit par une mise en ligne (upload) sur un important serveur consultable par tous, soit par un partage d’écran à distance.

Le recours à un second expert extérieur au service peut ainsi se faire de façon plus systématique. A noter que le recours à un deuxième avis par télépathologie a déjà été évoqué dans la recommandation de la HAS de 2009 sur le recours général au deuxième avis en anatomo-pathologie mais doit faire l’objet d’une démarche spécifique de la Société Française de Pathologie incluant la notion de télépathologie pour une recommandation HAS.

Ces améliorations ont ainsi permis la mise en place de véritables réseaux de télépathologie, comme le réseau MESOPATH de relecture des mésothéliomes coordonné par le Pr Galateau à Caen. Au Québec, le réseau de télépathologie a par ailleurs su tirer le maximum des possibilités offertes par la télémédecine moderne pour compenser la répartition très hétérogène des anatomopathologistes sur leur territoire, notamment due à la démographie déclinante de ces praticiens. Il existe des exemples en Ile-de-France comme les analyses extemporanées de l’hôpital Béclère réalisées avec la station de télépathologie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre en été 2012.

Deux autres projets parallèles fonctionnant avec des outils communs sont également en développement :

  • Un projet ARS IdF pour un déploiement et une évaluation du télédiagnostic en extemporané et de la télé-expertise incluant 11 hôpitaux APHP, 5 hôpitaux généraux et un laboratoire privé, pour une évaluation sur 18 mois.
  • Un projet mixte, académique et industriel, FUI 14, incluant l’APHP, les universités Paris VI et Paris VII et les sociétés Orange, Tribun et Pertim, de recherche et de développement portant sur l’amélioration des vitesses d’accès aux lames, de la fluidité de l’acte et de la localisation automatisée des régions d’intérêt.

Le but commun de ces projets est de créer un référentiel pour l’aide au diagnostic.

Enfin, d’un point de vue réglementaire, le consentement du patient est nécessaire juridiquement pour la transmission numérique.

Une autre innovation remarquable est le développement de nouvelles techniques de microscopie.

Ainsi, les applications des dispositifs de microscopie confocale se développent en anatomo-pathologie, mais restent cependant destinés à la recherche plutôt qu’aux applications de routine. Un autre exemple assez représentatif est l’utilisation de la microspectroscopie infrarouge dans le domaine de la transplantation hépatique, pour évaluer la stéatose du foie et valider ou non le greffon par examen extemporané.

Des projets de cytologie ou d’hématologie sont à l’étude pour réaliser des secondes lectures de frottis ou pour regrouper les frottis de dépistage pour lesquels il serait intéressant d’automatiser les lectures pour les rendre moins fastidieuses.

Par ailleurs, les avancées de la biologie moléculaire ont permis la mise en place des plateformes INCa de Biopathologie des tumeurs auxquelles sont étroitement associés les pathologistes pour la qualification des échantillons tissulaires soumis à l’analyse moléculaire et dans certaines structures pour la réalisation même de ces analyses moléculaires. Le compte-rendu anatomopathologique des prélèvements intègre ainsi le diagnostic anatomopathologique et les données moléculaires qui permettent de guider les meilleures orientations thérapeutiques (thérapies ciblées).

Nous remercions le professeur Guettier et le professeur Bertheau pour leur aimable participation.

Références :

  1. Télépathologie par lames virtuelles ou le diagnostic anatomo-pathologique en réseau numérique
    Philippe Bertheau, Agnès Chabouis, Bettina Fabiani, Éric Poullier, Christel Daniel, Joël Cucherousset, Jacques Bosq, Dominique Hénin, Frédérique Capron et Catherine Guettier
    Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 983–985
    DOI: http://dx.doi.org/10.1051/medsci/20122811018
  2. Le réseau de télépathologie de l’Est du Québec – Un véritable projet collectif
    Bernard Têtu, Jean Boulanger, Christine Houde, Jean-Paul Fortin, Marie-Pierre Gagnon, Geneviève Roch, Guy Paré, Marie-Claude Trudel et Claude Sicotte
    Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 993–999
    DOI: http://dx.doi.org/10.1051/medsci/20122811021
  3. L’utilisation des lames virtuelles en pédagogie
    Béatrice Vergier et Catherine Guettier
    Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 986–989
    DOI: http://dx.doi.org/10.1051/medsci/20122811019
  4. Les lames virtuelles en recherche expérimentale et en recherche clinique
    Anne Janin, Luc Legrès, Christophe Leboeuf, Jean-Yves Scoazec et Philippe Bertheau
    Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 990–992
    DOI: http://dx.doi.org/10.1051/medsci/20122811020