Le 8 avril 2015, l’équipe du CEDIT a rencontré le professeur Thierry Bégué, président de la Collégiale de Chirurgie Orthopédique, qui a présenté un état des lieux en matière d’innovation en orthopédie.
Concernant l’actualité de l’innovation en chirurgie orthopédique à l’AP-HP, je me propose d’aborder successivement 3 thèmes :
– La chirurgie des prothèses
– L’ostéosynthèse et la prise en charge des polytraumatisés
– L’ingénierie tissulaire
Par ailleurs, l’organisation des blocs de chirurgie orthopédique pourrait être l’objet d’innovations organisationnelles.
La chirurgie des prothèses
Contexte des prothèses de hanche et pertinence de la mise en place d’un registre
Les États-Unis et l’Europe se distinguent dans l’introduction de l’innovation des dispositifs médicaux : aux États-Unis, une démonstration d’équivalence fonctionnelle ou de non-infériorité suffit pour permettre la mise sur le marché et permet habituellement le remboursement, alors que l’Europe (et particulièrement la France) demande une démonstration plus complexe et difficile à obtenir à court terme. Par exemple, l’avantage d’une prothèse sur une autre s’établit principalement en termes de durée de vie, habituellement de l’ordre d’une vingtaine d’années.
Ceci limite fortement la pénétration des marchés européens, au moins en ce qui concerne les hôpitaux publics. Les constructeurs européens (essentiellement Aesculap) se trouvent donc désavantagés par rapport aux industriels américains (Stryker Zimmer, Depuys-Synthes, Biomet) qui bénéficient d’un marché domestique plus facile d’accès.
The Nordic Orthopaedic Federation tient un registre des prothèses de hanches, ce qui constitue une source d’informations précieuse permettant d’évaluer la qualité des prothèses utilisées dans les pays d’Europe du Nord. En France, la tenue d’un registre est impossible car l’exhaustivité n’est pas garantie. Les obstacles rencontrés sont le manque de moyens humains et financier pour entretenir un registre, l’absence d’obligation d’entrer les patients dans un registre (on pourrait évoquer la possibilité de conditionner le remboursement des actes par la participation à ce registre) ou encore des difficultés techniques et notamment la disparité des méthodes d’identification d’une prothèse, spécifique à chaque industriel.
Une étude portant sur les cupules non cimentées à double mobilité [1] (réalisée grâce à la collaboration des services hospitaliers universitaires, non universitaires et de médecins libéraux) fournit un exemple de l’intérêt de la production de données épidémiologiques françaises que permettrait la mise en place de registres exhaustifs. Un registre spécifique à l’AP-HP aurait en outre l’avantage de permettre une description des spécificités de sa patientèle. Ces données épidémiologiques permettraient également d’améliorer les appels d’offres des hôpitaux publics, et d’en guider les choix.
Enjeux de la chirurgie mini-invasive pour les chirurgies de la hanche et du genou
La chirurgie évolue vers la réalisation d’actes peu invasifs : pour la mise en place d’une prothèse de hanche, les incisions sont limitées et les tiges d’ancrage se raccourcissent. Des prothèses de dimensions plus réduites (tige courte, composant d’implant comportant un moyen d’identification / localisation….) sont développées et des systèmes de navigation deviennent nécessaires pour remplacer l’inspection visuelle directe de la chirurgie ouverte. Les systèmes développés par les fabricants sont spécifiques à leurs implants ce qui limite leur diffusion.
Ceci permettrait de réduire le coût d’hospitalisation si les autres paramètres restaient stables. Néanmoins, il est difficile d’analyser ce point. Par exemple, dans le cas du coût relatif à la reprise chirurgicale ou au changement de prothèse et si le taux de reprise est plus élevé, la nouvelle incision plus large lors du changement d’une prothèse et les conséquences de cet acte pourrait contrebalancer le gain économique de la chirurgie mini-invasive première.
Concernant la chirurgie prothétique du genou, en plus de la chirurgie conventionnelle, il est possible de réaliser une chirurgie assistée par ordinateur [2] ou de suivre des guides chirurgicaux réalisés à partir des données pré-opératoires d’imagerie [3]. Néanmoins, ces méthodes restent peu, voire pas évaluées, les industriels n’étant pas incités à réaliser des évaluations concernant ces produits. En effet, le marché mondial leur permet de les vendre en volume suffisant et certains achats peuvent être décidés par un « effet de mode ». Ainsi, le secteur public devrait avoir une place dans l’évaluation médicale et médico-économique de ces technologies, et s’appuyer sur ses résultats pour rationaliser les achats.
Le traitement de surface des prothèses
Lors des reprises chirurgicales d’infection de prothèse, la question des traitements de surface à base d’antibiotiques est débattue, la preuve de ces pratiques restant encore actuellement à démontrer. Si on admet un taux d’infection de 1% sur les environ 100 000 prothèses de hanche posées chaque année en France, la population cible de ce type de traitement représenterait 1°000 patients par an. La réalisation d’une étude nécessiterait l’intervention du secteur public, car les industriels ne sont pas incités à explorer cette question compte tenu de la faible population cible.
L’ostéosynthèse : Les implants composites
L’acier est actuellement le matériau de référence en ce qui concerne l’ostéosynthèse. Mais il ne permet pas une remise en charge progressive de l’os après traitement de la fracture.
Une première solution est d’utiliser du titane, métal plus souple, qui favorise l’ostéo-induction et qui semble avoir une plus forte résistance à l’infection. Une limite potentielle serait un plus fort risque de récidive de fracture à court terme. L’usage du titane est répandu en Europe, mois en France.
Une nouvelle solution est l’utilisation de matériaux composites. Ces matériaux peuvent être d’origines diverses : mucopolysaccharides, carbone, magnésium… Ils peuvent être biorésorbables (entre 6 mois à 1 an), ce qui a l’avantage de ne pas nécessiter une nouvelle intervention chirurgicale afin de retirer le matériel. Les matériaux composites pourraient constituer un avantage en termes de coût pour la société. C’est un sujet important qui pourrait faire l’objet d’une étude. Là encore la tenue d’un registre pourrait fournir des éléments d’aide à la décision pour l’AP-HP.
L’ingénierie tissulaire
L’ingénierie tissulaire osseuse a pour objet de reconstruire l’os grâce à l’association de matrices, de facteurs ostéo-inducteurs et de cellules ostéogéniques [ ]. En Ile-de-France, les deux laboratoires les plus avancés sur ce sujet sont le Laboratoire de Bio-ingénierie et Biomécanique Ostéo-articulaire (LB2OA) de Lariboisière et le service de chirurgie orthopédique et traumatologique de l’hôpital Henri Mondor. Certains industriels ont une expérience en ce domaine comme Orthobiologicals de Stryker. Ce marché prometteur reste peu dynamique du fait de l’investissement considérable nécessaire en R&D.
L’organisation des blocs opératoires
Spécificités de certains types de chirurgies orthopédiques
La chirurgie orthopédique et la neurochirurgie sont les disciplines les plus exigeantes en termes d’asepsie. De ce point de vue, la mutualisation des salles, actuellement proposée comme mode opératoire à l’AP-HP, pose un problème. On peut aussi remarquer que l’hospitalisation privée commence à revenir à des salles d’opérations dédiées à une seule discipline.
Des mesures techniques, comme les plafonds créant un flux laminaire (plafond unidirectionnel avec un intervalle de vitesse entre 0,25 et 0,40 m/s et un taux de renouvellement supérieur à 50 volumes d’air [5]) renforcent l’isolation du site opératoire et diminuent les risques de transmission infectieuse. En Allemagne, il existe des salles d’opérations de grande taille où coexistent plusieurs sites opératoires, chacun isolé par son flux. Cette organisation facilite la logistique du bloc.
Les enjeux de l’imagerie per opératoire
L’imagerie per opératoire en orthopédie est actuellement fournie par des arceaux (C-arm). De tels arceaux, monoplans ou biplans, peuvent être motorisés et informatisés pour fournir une imagerie tridimensionnelle per opératoire (tomodensitométrie à faisceau conique, alias CBCT [6]). Ce type imagerie peut être utilisé par les systèmes de navigation assistée par ordinateur. Un dispositif dédié (O-arm) est commercialisé par Medtronic et est disponible dans des centres privés et des CHU de province (Lille, Limoges, Nantes, Lyon). L’équipement de salles de chirurgie orthopédique serait utile à l’AP-HP et à ses patients.
D’autre part, certains centres de traumatologie spécialisés pourraient envisager d’avoir un scanner au bloc opératoire afin d’optimiser la prise en charge des patients, le scanner permettant de réaliser aussi une imagerie des tissus mous.
Les difficultés de la diffusion des innovations technologiques à l’AP-HP limitent la formation des internes qui ne peuvent être formés à ces techniques récentes et sont incités à aller compléter leur formation dans d’autres centres.
Enfin, la robotique chirurgicale est un enjeu de la chirurgie orthopédique moderne et la mutualisation de ce matériel coûteux serait avantageuse pour l’AP-HP et les équipes spécialisées.
Nous remercions le professeur BEGUE pour son aimable participation à l’entretien innovation dans cette discipline.
[1]. R. Philippot, F. Farizon, J.-P. Camilleri, B. Boyer, G. Derhi, J. Bonnan, M.H. Fessy, F. Lecuire Étude d’une série de 438 cupules non cimentées à double mobilité. Revue de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique Doi : 10.1016/j.rco.2007.10.011
[2]. CHIRURGIE PROTHETIQUE DU GENOU ASSISTEE PAR ORDINATEUR : APPORT DE LA NAVIGATION, Rapport d’évaluation technologique, Juin 2009, Service d’évaluation des actes professionnels, HAS
[3]. CHIRURGIE PROTHETIQUE DU GENOU ASSISTEE PAR ORDINATEUR : APPORT DE LA NAVIGATION, Rapport d’évaluation technologique, Juin 2009, Service d’évaluation des actes professionnels, HAS) ou de suivre les guides de coupe à usage unique (JN Argenson, G Blanc, D Girerd, E Viehweger, V Pomero, JL Jouve, S Parratte La place des guides de coupe sur mesure dans les prothèses totales de genou. e-mémoires de l’Académie Nationale de Chirurgie, 2014, 13 (3) : 029-036
[4]. C. Trojani, T. Balaguer, F. Boukhechba, G.-F. Carle, P. Boileau, N. Rochet Inventaire des stratégies cellulaires en ingénierie tissulaire de reconstruction osseuse. Revue de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique Doi : 10.1016/j.rco.2007.11.001
[5]. ASEPTIC SURGERY FORUM. International Expert Meeting on Good Surgical Practices and Technological Innovations to Prevent and Cure Infections. 26 et 27 mars 2010, Paris. url :http://cclin-sudest.chu-lyon.fr/Newsletter/2010/45/Aseptic_surgeryforum.pdf
[6]. Voir dossier CEDIT « Tomodensitométrie à faisceau conique » (2007) ou est décrit l’usage de tels dispositifs en chirurgie maxillofaciale.