Entretien avec le Professeur M. Delpech, Président de la Collégiale de Biochimie et de Biologie moléculaire

 Pr Marc Delpech

Professeur Marc Delpech

L’équipe du CEDIT a rencontré le Professeur Marc Delpech, président de la Collégiale de Biochimie et de Biologie moléculaire, qui a présenté un état des lieux en matière d’innovation dans sa spécialité (voir la lettre de veille n°26).

Evolution de la spécialité

Le Professeur Delpech a souligné l’évolution opérée par la biochimie médicale qui semble fonctionner à présent de façon transversale avec d’autres spécialités. Ainsi, si les savoirs demeurent distincts, il n’existe plus réellement de frontière technologique entre la biochimie et d’autres disciplines biologiques (biologie moléculaire, cytogénétique, anatomopathologie, bactériologie…). Les cibles (les molécules pour la Biochimie) changent mais les moyens sont transversaux et les équipes complémentaires.

Plusieurs exemples peuvent être cités : dans le cas d’une maladie génétique, chaque spécialiste est à même d’apporter son savoir spécifique pour aborder le problème sous différents angles afin d’en obtenir une vue d’ensemble ; de même, un diagnostic peut ainsi être réalisé en commun par la biochimie et l’anatomopathologie[1]. Il existe également une continuité entre la cytogénétique moléculaire et la génétique moléculaire qui utilisent toutes les deux la puce d’hybridation génomique comparative (CGHarray) et donc les mêmes dispositifs de scanner de puces.

La vision qui pourrait découler de ces modes de fonctionnement serait la mise en place de plateaux techniques centraux performants avec des différentes équipes s’articulant autour.

Quelques exemples d’avancées importantes

Protéomique :

 

Ce domaine présente un enjeu majeur pour l’avenir. Il apporte des résultats moins quantitatifs que ceux à rythme soutenu obtenus par le séquençage (utilisé également en virologie, anatomo-pathologie ou bactériologie), mais conserve un fort aspect qualitatif.

L’analyse de microéchantillons dans un cheminement comprenant la micro-chromatographie liquide à haute performance (µHPLC) en amont puis spectrométrie de masse en est un bon exemple.

Des robots permettent ainsi d’allier la cytologie (microdissection laser) ou des techniques classiques de biochimie, comme l’électrophorèse, à la protéomique pour le diagnostic. Ces appareils permettent de pénétrer la cellule pour y récupérer des microrégions et analyser l’ensemble des molécules s’y trouvant grâce à la spectrométrie de masse. On obtient ainsi une connaissance topographique des choses, un élément important pour comprendre les réponses biologiques au plus près de leur milieu, en conditions réelles en prenant compte de l’influence de leur environnement.

Ces démarches demeurent, pour l’instant, du domaine de la recherche.

Séquenceurs :

Une évolution de la qualité et de la vitesse du séquençage a été obtenue ces dernières années, pour un coût en diminution constante. Cela est dû en partie aux nouveaux appareils permettant le grand séquençage[2] et à la création de grands centres de séquençage mettant en œuvre du personnel compétent et permettant de fournir des résultats rapides disponibles en ligne.

Un des enjeux de l’équipement en séquenceurs est de définir les besoins de débit normal d’un laboratoire hospitalier, les séquenceurs évoluant entre différentes gammes nécessitant une gestion différente. Un petit appareil, d’environ 70 000€, permet de réaliser des séquences de quelques centaines de millions de paires de base d’ADN, quand un gros appareil permet de réaliser des séquences jusqu’à 200 milliards de paires de base.

Un équilibre est nécessaire entre la centralisation de ces grands séquenceurs et la tentation d’installations dispersées d’appareils. L’exemple d’un gros séquenceur pour les opérations longues associé à plusieurs petits pour des réponses courtes pourrait être une solution intermédiaire.

Ainsi, à l’hôpital Cochin[3] , un centre de séquençage fonctionne comme plateforme Inserm / AP-HP avec deux petits séquenceurs proposant des migrations de réaction de séquence[4] de 2h après 1 à 2 jours de préparation et deux appareils plus importants permettant des analyses d’exomes, c’est-à-dire de toutes les parties codantes du génome d’un patient. Ces séquenceurs ont été financés à hauteur de 1,2 millions d’euros par l’INSERM (crédit région) et par le plan Maladies Rares.

En dehors des enjeux du séquençage dans la trisomie 21, du ressort de la cytogénétique, d’autres domaines sont concernés par le recours à de grands séquençages de l’ADN. Il s’agit du diagnostic des maladies héréditaires, de l’oncologie et de pratiquement l’ensemble des disciplines de la Biologie En oncologie par exemple, l’analyse des gènes de cellules tumorales impliquées dans un type spécifique de cancer peut permettre la détermination de facteurs pronostics ou orienter la thérapeutique. La pharmacogénétique utilisant ces appareils démarre tout juste.

A termes, si un recours au grand séquençage se démocratisait, certains enjeux éthiques apparaitraient pour des praticiens possédant une connaissance approfondie d’un patient par cette analyse globale du génome. Les biologistes devraient alors choisir de se limiter à l’analyse requise du problème d’origine ou bien envisager de statuer au-delà, si d’autres problèmes apparaissaient à la lumière de ce séquençage général.

L’enjeu commun aux installations de gros matériels se retrouve également dans la problématique des gros séquenceurs utilisés par le grand séquençage.

Bases de données :

En termes d’allocation de ressources, la gestion des bases de données reste un enjeu important pour les technologies qui sont mises en œuvre. Le volume de données collectées est à présent conséquent et provient souvent de sources très diverses. Ainsi, les données engendrées par la réalisation du grand séquençage avoisinent les 30 Go par patient (voire 1 To pour un génome complet), soit plus qu’une image IRM, dans une optique de conservation des données pendant 30 ans.

La question du stockage et de l’entretien de ces données revient régulièrement dans les problématiques d’une plateforme de séquençage.

La gestion de ces bases de données est réalisée par des bioinformaticiens très spécialisés, mais ce métier est encore mal identifié et les services de biochimie sont confrontés à un manque crucial de personnel qualifié dans ce domaine.

Centres de ressources biologiques :

Même si ces centres CRB sont plutôt définis à l’international comme des outils de recherche, ceux déjà mis en place à l’APHP et ceux en cours de mise en place entreprennent parfois également une démarche de diagnostic.  En effet, il est souvent nécessaire de stocker toutes sortes de prélèvements biologiques, par exemple dans le cadre des maladies rares

Un CRB pourrait faire le lien entre recherche et diagnostic, comme dans le cas d’une maladie rare dont les prélèvements seraient utilisés pour de la recherche, jusqu’à ce que des progrès de la recherche permettent leur utilisation par un praticien dans une démarche diagnostique.

L’intégration du CRB en soin courant ne devrait alors plus correspondre uniquement à sa définition générale (celle d’emmagasiner les prélèvements).

Il existe à nouveau des problèmes d’infrastructure en termes de stockage, et, pour éviter cet écueil, le CRB pourrait préparer et stocker très temporairement les échantillons. Le stockage à long terme serait alors réalisé dans un lieu différent. Il faudrait pour cela mettre en place deux centres de stockage sécurisés (les échantillons précieux devraient être stockés dans deux lieux différents afin qu’ils ne soient pas perdus en cas d’incendie,…)

Un CRB de l’APHP devrait être prochainement installé à l’hôpital Cochin.

En conclusion, la Biochimie représente une spécialité en pleine évolution, pouvant fonctionner en transversalité avec les spécialités connexes, mais également une spécialité où les avancées techniques peuvent s’avérer très rapides de leur conception à leur installation en routine. Ainsi le développement de technologies peut varier grandement, sans pouvoir forcément projeter le devenir des technologies sur une échelle de temps précise. Le grand séquençage en est un parfait exemple : démarré en janvier 2013 à l’hôpital Cochin, il est présent à l’heure actuelle dans la moitié de l’activité du service, chose peu imaginable il y a 2 ou 3 ans.


[1] Voir Entretien avec le Professeur Guettier, lettre de veille n°23 – Mars 2013

[2] L’arrivée et le développement depuis 2006 de nouveaux séquenceurs à haut débit pouvant traiter plusieurs milliards de paires de base par séquence a permis le traitement de gros volumes de données, pour proposer ainsi le séquençage complet. On parle alors de grand séquençage.

[3] A la fin des années 90, le CEDIT a permis la reconnaissance de l’utilisation du séquenceur en milieu hospitalier.

[4] Migration électrophorétique du produit d’une réaction de séquence d’ADN permettant de séparer tous les fragments présents en fonction de leur masse moléculaire. Les plus petits fragments vont migrer plus rapidement que les grands